Rompre les codes

25/01/2023

Il m'arrive de voir des candidats qui se présentent au passage de grade de la ceinture noire avec une maîtrise minimale de la discipline, mais une connaissance précise des épreuves et des barèmes de notation, estimant qu'il suffit de connaître le cahier des charges et d'y répondre à minima afin d'obtenir un grade.

"C'est bon, je connais le Poomsae"

Il va de soi que ces pratiquants, même s'ils obtiennent un jour leur ceinture noire, ne seront jamais des experts dans leur domaine s'ils conservent cette mentalité. Car ils se donnent eux-mêmes un cadre (pour ne pas dire des œillères) qui limitera fortement leur progression martiale, prenant comme seule base les épreuves du passage de grade fédérale.

Le passage de grade fédéral n'est qu'un moyen d'évaluer grossièrement le niveau d'un pratiquant, sur un temps donné. Comme tout système, il présente son lot d'avantages et d'inconvénients. Il se doit d'être général et ne pourra pas prendre en compte les spécificités d'une école ou d'un enseignement. S'en servir comme unique base ne permettra jamais de dépasser les généralités de la discipline, de travailler en profondeur des principes, car il est basé sur un jugement visuel uniquement, là où certains principes ne peuvent être que ressentis.

Extrait d'un cours sur le relâchement lors du Mudo Event #1

C'est là qu'à mes yeux, se trouve la limite d'un grade, cela peut donner des gradés n'ayant aucune maîtrise de certains principes. Avec ce système, un gradé ne sera pas nécessairement un expert, ou un spécialiste dans sa propre voie. Le grade n'est donc pas une carte de visite très fiable.

La vision idéalisé que je me fais d'un maître ne se limite pas à un individu ayant une grande maîtrise technique de sa discipline, ni même un certain grade. Pour moi, il s'agit d'une personne qui est allée au-delà de l'école de base, qui s'est appropriée sa discipline et qui la nourrit avec un ou plusieurs principes qui lui sont propres, sans nécessairement s'enfermer dans un cadre.

S'il vous est arrivé de travailler avec différents maîtres, vous aurez remarqué qu'ils présentent généralement un style de pratique et/ou d'enseignement qui leur est propre. Sur un même mouvement, on peut voir différentes applications, différentes sensations, bien que la technique soit issue de la même discipline.

Je suis convaincu qu'au quotidien, un pratiquant de cet acabit ne se soucie que très peu des barèmes d'un passage de grade, ou de ce à quoi les juges sont sensibles ou non. Il travaillera ses techniques à sa manière, il aura une forme de corps qui lui est propre.

Ce travail n'est possible que si l'on accepte de rompre les codes, de s'affranchir de l'approche générale.

Bien entendu, le risque de ne pas être compris par les juges existe. C'est pourquoi je connais des experts qui se "brident" pour entrer dans le moule le temps d'une journée afin de réussir l'examen. Mais réussir à faire cela demande une capacité d'adaptation très grande, fruit d'un entraînement assidu, dans différents contextes, différents styles, permettant d'adapter sa forme de corps.

Mais alors, comment et pourquoi faire autre chose que ce qui est demandé par la fédération ?

Je le répète, le passage de grade fédéral se doit d'être général, afin que tous les clubs puissent y participer. Cela n'empêche en rien les professeurs et les écoles à enseigner le Taekwondo comme ils l'entendent, dans la forme qui leur est chère.

Je vois le programme du passage de grade fédéral comme une simple base à partir de laquelle nous pouvons travailler, et à laquelle nous pouvons tous répondre.

"J'ai le droit de faire un balayage ?"

Nous restons maîtres de ce que nous faisons en club et nous sommes libres de mettre en place des passages de grades KEUP (ceintures de couleurs) prenant en compte les spécificités de notre école et répondant au programme fédéral, car l'un n'empêche pas l'autre.

Pour ma part, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'ajouter un grand nombre d'épreuves contrairement à ce que pensent certains. J'estime que la quantité ne remplace pas la qualité.

Me concernant, j'ai fait le choix de mettre en place des critères de notation prenant en compte des observables liés à chaque grade, afin que mes élèves puissent assimiler des principes au fur et à mesure de leur progression.

Lorsque j'enseigne, je ne parle jamais de ce qui est attendu au passage de grade fédéral. Je parle uniquement du Taekwondo, de ce qui est pertinent ou non, et des principes vers lesquels je veux diriger mes élèves.

Le passage de grade fédéral n'a lieu que très ponctuellement dans la vie d'un pratiquant, au même titre que la compétition. Ils ne doivent donc pas régir la vie de ce dernier et le freiner dans son évolution. Nous verrons donc qu'en fonction du cadre, les règles ne sont pas les mêmes.

Mais les arts martiaux ont cet avantage fabuleux qui est de pouvoir travailler dans un cadre ouvert, il est donc dommage de ne pas en profiter pleinement.