Refuser son grade à un enfant

24/06/2022

Cette semaine est la semaine des passages de grades à mon club Taekwondo Strasbourg, l'occasion pour moi de voir l'évolution de mes élèves, enfants et adultes.

Si dans l'ensemble je suis très satisfait de leur niveau, certains élèves ne réussiront pas leur examen. Lacunes techniques, stress, manque de préparation, plusieurs facteurs peuvent en être la cause. Mais là où les adultes ajournés acceptent généralement cette décision, il arrive que certains parents viennent demander des explications concernant l'échec de leur enfant.

"Pourquoi mon enfant le rate, alors que tel enfant l'obtient" ?

Bien sûr, la réponse "Parce que votre enfant n'a pas le niveau" ne sera pas entendue, et un peu de diplomatie ne fait pas de mal. Et puis, ce ne sont que des enfants, ils font ça pour s'amuser. Alors pourquoi tant de sérieux ? Pourquoi ne pas leur donner leur ceinture, histoire que tout le monde soit content ? D'autant plus qu'un enfant qui n'obtient pas sa ceinture a de grandes chances de ne pas renouveler son inscription à la saison prochaine. 

Pourquoi refuser son grade à un enfant ?

Réussir un grade, c'est une récompense, une fierté que nous avons tous connue, un sentiment agréable qui vient encourager un travail bien fait.

Si le travail n'a pas été bien fait, il n'est pas bon selon moi de le récompenser, enfant ou non.

Évidemment, le refus doit être justifié par l'enseignant. Cela peut-être car l'enfant a besoin de plus de temps, qu'il était longuement absent et n'a pas assez suivi le programme, ou même à cause de son comportement.

Apprendre l'échec

Est-ce une mauvaise chose d'ajourner un enfant ? Je ne pense pas. Bien au contraire, l'enfant découvrira un nouveau sentiment : l'échec. Et dès son jeune âge, il devra faire face à l'échec, apprendre à le surmonter, et aller de l'avant.

Le Dojang est un lieu parfait pour cela : il n'y a pas d'enjeu important, rater son grade n'aura aucune incidence sur sa vie et son parcours. Si l'élève doit échouer quelque part, il vaut mieux que ce soit dans ce cadre, sans répercussions.

Apprendre à faire face à l'échec et à le surmonter sera un véritable outil dans sa vie future, que ce soit dans le cadre sportif, personnel ou professionnel.

Faire preuve de trop de compassion et ne jamais refuser un grade lorsque c'est nécessaire, c'est passer à côté d'une leçon importante pour l'élève.

Apprendre la valeur de l'effort

Si l'enfant réussit son grade, mais que contrairement à ses camarades il n'a pas donné le meilleur de lui-même, il n'aura pas réellement conscience de la valeur de l'effort.

Si tout peut s'acquérir facilement, sans travailler vraiment, sans se concentrer, à quoi bon fournir plus d'efforts ? C'est une faute en tant que professeur d'arts martiaux que d'enseigner une telle chose.

D'autant plus que ses camarades ayant travaillé plus pourraient tirer comme conclusion qu'ils se sont entraînés inutilement, que la prochaine fois cela passera également en fournissant moins d'effort.

Technique et comportement

Quelles peuvent être les raisons qui poussent le professeur à refuser un grade ?
Chez moi, le comportement prime autant que le niveau technique. Un enfant ayant un niveau parfait, mais un mauvais comportement (fait le pitre durant les cours, ne fait pas preuve d'humilité, se moque de ses camarades, ...) ne réussira jamais son passage de grade.
N'oublions pas que l'humilité est une vertu commune aux arts martiaux. Nous formons des combattant(e)s, des guerrier(e)s certes, mais nous formons surtout les citoyens de demain.

De plus, nous formons des pratiquant(e)s qui véhiculeront l'image de notre discipline et de notre club, à chaque fois qu'ils/elles seront en compétition, en stage, ou même simplement dès que leur entourage apprendra qu'ils/elles pratiquent les arts martiaux.

Qui a envie de donner l'image d'un Karatéka hautain, d'un Judoka frimeur, d'un Taekwondo-in vulgaire, malgré un bon niveau ?

Si l'enfant a raté son grade et ne revient plus

Une conséquence possible suite à son échec, est que l'enfant ne remette plus les pieds au Dojang dès la rentrée suivante. Dans ce cas, la leçon ne sera malheureusement pas apprise. L'enfant pourrait avoir pris la décision comme une punition et s'être braqué. Peut-être que le professeur n'aura pas été suffisamment diplomate dans son approche, peut-être que les parents n'auront pas joué leur rôle en parlant avec leur enfant.

Dans tous les cas, me concernant, je n'appelle jamais les parents pour que l'enfant revienne. S'il ne revient pas, c'est peut-être la preuve qu'il n'était pas passionné par la discipline, et dans ce cas je préfère amplement qu'il trouve une activité dans laquelle il pourra s'épanouir.

J'ai moi-même raté 2 grades

C'est une chose dont je parle ouvertement à mes élèves, j'ai moi-même raté 2 passages de grades : la ceinture bleue quand j'étais ado et le 1er DAN à 16 ans.

Bien entendu, j'étais à chaque fois frustré, en colère, triste, tous les sentiments que l'on peut avoir face à l'échec.

Puis j'ai pris du recul, j'ai analysé la situation. J'ai cherché les raisons exactes à mon échec, et je les ai travaillées au double.

Depuis, dès que je prépare un grade, j'en fais toujours plus que ce qui est demandé. J'apprends tous les termes, même pour les grades supérieurs. Je m'entraîne à exécuter toutes mes techniques à droite et à gauche, je prépare même plus d'enchaînements qu'au besoin. Je fais une prépa physique. Et bien entendu, je vais régulièrement en stage, je vais côtoyer des experts, je prends des notes, j'applique.

Je fais tout pour pallier les éventualités. Les juges peuvent me demander une chose qui n'est pas spécifiée précisément dans le programme, je suis prêt.

Car finalement, c'est la moindre des choses pour un pratiquant d'arts martiaux. 

Sans échec, je n'en serais pas là aujourd'hui. Leçon apprise.