L'évolution du Taekwondo

28/08/2022

Quand j'étais plus jeune et que j'ai découvert les arts martiaux via le cinéma, j'avais des étoiles plein les yeux lorsque je regardais des vidéos de Taekwondo sur Youtube (et Dailymotion, n'oublions pas). Il n'y avait pas vraiment de vidéos pédagogiques ou instructives, il s'agissait essentiellement de montages présentant des Best-Off de K.O.

J'ai un souvenir très précis de moi, tremblant d'excitation devant ces combats où les frappes étaient appuyées, mais où les combattants se saluaient et se prenaient dans les bras à la fin de leurs affrontements.

Je me souviens également des démonstrations aux Festivals des Arts Martiaux de Bercy, mettant en avant du combat, des balayages, de la casse.

Ce sont ces vidéos qui m'ont convaincu de trouver un club, et de pousser pour la première fois les portes du Dojang.

Une démonstration qui me faisait rêver (début à 2mn30)

À cette époque, je n'avais pas du tout conscience de la chance que j'avais d'avoir trouvé un professeur polyvalent, proposant un Taekwondo plutôt global. Nous faisions du combat, de la technique, de la self-défense. Avec une autre approche que ce que je propose aujourd'hui, mais nous le faisions.

Si aujourd'hui je devais trembler devant une vidéo de Taekwondo, il y a de fortes chances que ce soit d'énervement.

Les vidéos mettant en lumière des guerriers et des guerrières sont remplacées par du contenu "m'as-tu vu", parfois ridicule, parfois impressionnant, mais toujours vide de sens.

Et si dans sa quête de développement, le Taekwondo s'était perdu en chemin ? 

Cherchant à tout prix à conquérir un nouveau public, j'ai le sentiment que les instances dirigeantes ont oublié que le plus difficile n'est pas d'attirer des pratiquants, mais de les conserver.

Nous avons donc un Taekwondo Olympique, que personne ne regarde. Du Poomsae de compétition, avec un niveau inatteignable par la majorité. Du Taekwondo acrobatique et démonstratif, qui n'est enseigné dans presque aucun club. Et du body-taekwondo, qui n'est pas une pratique martiale.

Nous avons cloisonné les formes de pratique, combat sportif d'un côté, Poomsae sportif d'un côté, taekwondo artistique d'un autre côté.

Là où c'est une erreur selon moi, c'est que nous aurions dû également développer la branche "martiale" de la discipline, en fusionnant les formes de pratiques plutôt qu'en les scindant.

Ce qui me semble être d'une logique évidente a été complètement mis de côté durant ces dernières décennies.

Quand avons-nous considéré le Taekwondo comme un art martial, pour en développer ce qui devrait être sa vocation première, le combat et la défense personnelle ? Car dans ce contexte, marquer des points en faisant des scorpions kicks, faire des yop chagi à la verticale, ou casser une planche de quelques millimètres à 2 mètres du sol, ça ne sert à rien.

Le Scorpion Kick, technique propre à la compétition

Cette interrogation semble germer au niveau du Kukkiwon (maison mère du Taekwondo), qui commence à proposer un travail en Hoshinsul (self-défense) plus réfléchi qu'avant. Cependant, le travail qu'ils proposent reste très chorégraphié, non pragmatique, et pioché dans d'autres disciplines sans même avoir étudié nos propres Poomsae...

J'ai le sentiment que nous avons fonctionné à l'envers. Nous avons voulu à tout prix promouvoir notre discipline, avant même d'avoir vraiment terminé son développement.

Bien sûr, en réalité je suis heureux qu'il existe tant de facettes, car cela répond à différents objectifs, plusieurs chemins sont envisageables.

Ce que je trouve dommage, c'est qu'il est plus simple de suivre un parcours sportif et que rien d'intéressant n'est proposé en terme martial, en dehors des passages de grades.

Certes, il est de la responsabilité de chacun de s'occuper de son propre développement. Chaque pratiquant, notamment gradé, se doit d'évoluer sur la voie sans attendre qu'une fédération propose des cursus travaillés et orientés.

Cela dit, je pense que ce serait une véritable plus-value que de valoriser un parcours martial au sein de la fédération, sans objectif sportif. Un grand nombre de pratiquants sont encore attirés par l'image martiale que dégagent nos disciplines, la rigueur, la tenue, le code moral. La quasi-totalité de mes élèves ont concrétisé leur inscription pour une ou plusieurs de ces raisons.

Travail de self-défense proposé par le Kukkiwon

Et bien entendu, il est possible d'être autant attiré par le travail traditionnel que par la compétition, bien que le fait de suivre ces deux voies simultanément soient difficile. Dans ce cas de figure, les différentes visions peuvent se compléter parfaitement, comme nous pouvons le constater chez certains experts tels que Philippe Montosi, qui a longtemps été compétiteur de haut niveau sans pour autant délaisser le travail martial.

Depuis plusieurs années, je suis via les réseaux sociaux et avec intérêt le travail de Léo Tamaki, expert en Aïkido, qui avec une équipe solide a fondé une école appelée "Kishinkaï". Via leur école, ils développent un Aïkido pur et sans fioriture, n'hésitant pas à démystifier la discipline ou à expliquer quand une technique n'est pas applicable dans certaines situations.

Cette quête de pureté vaut à leur école un grand succès, appelant Léo Tamaki a donné de nombreux stages tous les ans à travers le monde dans le but de promouvoir leur école.

Et pourtant, ils n'utilisent aucun terme à la mode comme "self-défense" ou "efficace rapidement" et ne modifient pas leur discipline pour répondre à un public niche, en faisant du "Body-Aïkido" ou que sais-je.

Léo Tamaki

Alors qu'en Taekwondo, nous cherchons toujours un moyen de séduire un nouveau public, quitte à travestir notre discipline.

Nous devons faire confiance à notre discipline, à ses vertus, à ses qualités techniques, à ses codes. Nous ne pourrons séduire un nouveau public que si nous sommes nous-mêmes séduits et convaincus par ce que nous faisons.

Je rêve qu'un jour, le développement de la discipline se trouve entre les mains de pratiquants, et non de politiciens. Histoire qu'enfin, nous puissions faire appel à de vrais maîtres et experts pour faire évoluer le Taekwondo, sans avoir comme unique but de le rendre "sexy" et de le travestir pour plaire au grand public.